04 décembre, 2010

Oregon: 150 ans en 2009 (8/8)

Oregon: 150 ans en 2009 (8/8)
Un reportage réalisé en juillet 2008 (texte et photos: Bernard Jacqmin)


Crater Lake




A partir de Florence, lorsque l’on bifurque vers les terres en direction d’Eugene puis de Roseburg et que l’on suit le cours sinueux de l’Umqua River, on pénètre à nouveau dans un univers de forêts denses et majestueuses. Le relief devient accidenté et le parcours prend des allures aventureuses. Mais cette route 138 doit encore livrer une surprise de taille. Au terme de celle-ci, gît en effet un des lacs les plus étranges et des plus beaux que l’on puisse connaître. Il est un des plus profonds du monde et en tous cas, le plus profond des Etats-Unis puisqu’en son centre sa profondeur atteint 594 mètres. Ses eaux sont aussi, dit-on, d’une pureté incomparable. Aucun ruisseau, aucune rivière ni glacier ne l’alimente. Seules les eaux de pluie et les chutes de neige lui permettent de conserver un niveau toujours égal. Bien que situé à une altitude de 1800 mètres, le Crater Lake ne gèle jamais car protégé par une impressionnante muraille de lave solidifiée. Comme son nom l’indique, la formation du Crater Lake résulte d’une éruption gigantesque. Celle du volcan Mazama qui, à la suite d’une explosion cataclysmique survenue il y a 7700 ans, s’effondra littéralement sur lui-même en provoquant cette cuve abyssale, cette caldeira de près de 10 kilomètres de diamètre.


Les archéologues ont prouvé que cette zone était habitée il y a plus de 10.000 ans déjà. Il est donc tout à fait plausible que des humains aient été les témoins oculaires de cette scène digne d’une fin du monde. D’ailleurs, les indiens Klamath n’ont-ils pas perpétué une légende voulant que cette catastrophe géologique soit le résultat d’un combat entre des divinités rivales ? Une des raisons pour laquelle les Klamath, ont toujours considéré ce lieu comme étant sacré et les chamans interdisaient d’ailleurs à leur peuple de le regarder !



Il est vrai que de cette antique catastrophe, il subsiste ici et plus que jamais, une atmosphère des plus singulières. « A vous donner le frisson, diront certains !» Le visiteur, même le plus blasé, ne peut échapper à cette sensation de rentrer dans un monde irréel tant l’agencement des éléments constituant ce site confine à la perfection. Tout ici est à mettre au superlatif. Le lac forme un cercle quasiment parfait, ses eaux sont d’une limpidité exemplaire, et, protégé du vent par d’abruptes falaises, aucune vaguelette ne vient troubler la surface de

l’onde qui, décidément, prend des allures d’acier bleuté. Même en plein mois de juillet, lorsque la période touristique bat son plein, chacun semble observer ce spectacle avec déférence et les plus loquaces ne commentent leurs émois qu’à voix basse. Comme s’ils se trouvaient au cœur d’un sanctuaire interdit, assistant à l’accomplissement de quelque rite grandiose et surnaturel. Peut-être une de ces liturgies complexes dont avaient le secret les chamans Klamath. Peut-être un de ces mystérieux offices qui devaient se tenir sur l’Ile du Magicien!








                                                                                             FIN


Texte : Bernard Jacqmin (septembre 09)

Photos : Pablo et Bernard Jacqmin











14 février, 2010

Oregon: 150 ans en 2009 (7/8)

Oregon: 150 ans en 2009 (7/8)
(Un reportage réalisé en juillet 2008 (texte et photos: Bernard Jacqmin)



La Côte

“Océan en vue! O joie ! » écrivait Clark dans son journal à l’issue de l’incroyable aventure qu’il venait d’accomplir. L’enthousiasme qui avait prévalu pour lui et ses compagnons en accédant aux rives du Pacifique se mua pourtant vite en un cruel désenchantement. Dans ce même carnet, on peut lire un peu plus loin : « A 2 heures, la marée monta sous la forme d’énormes vagues et d’un vent terrible. Elle renfloua les arbres…et se mit à les chasser çà et là…Toutes les peines, notre attention la plus soutenue, permettaient tout juste d’empêcher notre canoë de se faire écraser par des troncs monstrueux dont de nombreux mesuraient près de 60 mètres de long et de 1 à 2 mètres de large…Les rondins sur lesquels nous dormons partent à vau-l’eau à chaque marée. La pluie tombe toute la journée. Nous sommes mouillés, notre literie aussi, et une bonne partie de notre matériel….Rien à manger sauf du poisson matraqué »

Cette vision presque apocalyptique de la côte Nord-Ouest, n’a en soi rien d’étonnant. Cette côte ne connaît-elle pas un des plus violents ressacs du monde. En hiver, les tempêtes lancent contre les falaises des vagues qui dépassent 6 mètres de haut et le choc qui en résulte est comparable à l’impact d’une voiture lancée contre un mur à 150 kilomètres à l’heure ! Depuis le Japon, aucune barrière de récifs ni groupes d’îles ne brise le choc de ces vagues poussées par le vent sur ce qui est considéré comme plus long parcours océanique de l’hémisphère Nord.

Il n’empêche que ce rivage, d’Astoria aux dunes de Florence et même au delà, vers la Californie, est l’un des plus beaux et des plus sauvages de la côte Ouest. Les ports et les petites villes balnéaires le longeant n’ont en rien dénaturer l’âpre beauté de cette région.

Astoria, à la frontière de l’Etat du Washington -et terme de l’épopée de Clark et Lewis- a d’ailleurs gardé, pour qui prend le temps de musarder, un charme quelque peu suranné avec ses rues pentues et ses façades victoriennes que l’on dit les plus belles après celles de San Francisco. Des réalisateurs tels que Richard Donner (Les Goonies) ou Ivan Reitmann (Un flic à la maternelle) ont bien compris le parti qu’ils pouvaient tirer de ces décors clé-sur-porte en les intégrant dans leurs films, (au point qu’ils en deviennent souvent les éléments les plus intéressants !)

Fondé en 1811 par un négociant en fourrures nommé John Astor, Astoria sera aussi le premier village digne de ce nom de la côte Ouest des Etats-Unis. Sa situation stratégique, puisque situé la fois à l’embouchure de la Columbia River et en bordure de l’Océan- lui valut aux temps héroïques une belle réputation de port de commerce. Aujourd’hui peuplé d’ à peine une dizaine de milliers d’âmes, la bourgade à l’air quelque peu assoupi en dépit de la mise en route de quelques projets à vocation touristique. Quoiqu’il en soit, la petite ville reste plus que jamais un point de passage obligé de la côte-ouest pour qui se rend dans l’état du Washington grâce au fameux Astoria Bridge. Traversant la Columbia River en formant un arc de près de 7 kilomètres, cet ouvrage d’art est aussi considéré comme un des plus remarquables des Etats-Unis.


Si l’on poursuit une vingtaine de miles vers le sud, toujours en longeant la côte, on parvient à la petite ville de Cannon Beach. L’endroit est certes un classique des agences de voyage locales mais comment ne pas tomber sous le charme de cette modeste ville balnéaire, de ses bungalows pimpants en front de mer et surtout de sa plage parsemée d’impressionnants rochers comme, entre autres, le Haystack Rock ? Une sorte de pain de sucre émergeant à 70 mètres au dessus des flots. A elle seule, cette masse rocheuse est un authentique réservoir de vie où s’ébattent joyeusement les crabes-hermites et les étoiles de mer, les cormorans et les goélands, les puffins et les canards-arlequins.

Tôt ce matin, à marée basse, la brume voilait encore les contours de l’imposant monument. En se retirant, la mer avait laissé alentours autant de flaques bleutées et un vent léger ourlait les vagues d’une écume étonnement éblouissante. A cette heure matinale, la plage était encore déserte ou presque car dans le lointain, face à la mer, une jeune femme s’était agenouillée et priait. Qui sait, peut-être était-ce une incantation à l’attention d’un wyakin, un de ces singuliers anges-gardiens auxquels se référaient régulièrement les Nez-Percés lorsqu’ils ressentaient une menace ou se trouvaient face à une épreuve de taille. Peut-être, dans ce cas, l’imminence d’un Tsunami ?! En tous cas, tout ici rappelle cette éventualité et une signalisation explicite, même en bord de plage, indique clairement que la zone peut-être sujette à un tel phénomène et qu’il s’agit dès lors d’emprunter sans attendre telle ou telle route lorsque, le cas échéant, l’ Océan se déchaîne.

Un Océan qui décidément ne laisse aucun répit ni aux habitants de la côte ni aux marins qui croisent au large. Dieu merci, ces derniers ont pour eux de précieux alliés dans leur lutte contre les éléments. On les surnomment les sentinelles de l’Oregon. Ce sont ces neuf phares qui, de la frontière avec le Washington jusqu’à la Californie illuminent la nuit et préviennent des sinistres écueils. Ces phares, dessinés et construits entre 1870 et 1896 par les ingénieurs de l’U.S. Army font aujourd’hui partie intégrante du patrimoine historique et architectural de l’Etat. Tous ont leur propre style, leur histoire, leurs anecdotes étonnantes. Comme celui de Tillamook Rock.

Arnold, marin-pêcheur au physique de viking et accessoirement propriétaire de la poissonnerie de Yachats aime raconter qu’autour de la lanterne de ce phare, construit sur un îlot de basalte à environ 1 miles au large de Cannon Beach, on a dû placer un grillage pour protéger les vitres contre les rochers projetés dans les airs par les caprice des vagues. Il faut préciser que la lanterne de ce phare est située 42 mètres au dessus des flots ! Lors d’une tempête, au début du XXe siècle, on se souvient qu’un bloc de 65 kilos fut projeté à plus de 30 mètres de hauteur. Il retomba sur la maison du gardien et en creva le toit, laissant un trou de six mètres de côté. Exceptés les murs, presque toute la maison fut détruite.

Aujourd’hui ce phare, surnommé à juste titre « Terrible Tilly », est une propriété privé et a pour étonnante vocation celle de columbarium et ne reçoit plus que de temps à autre la visite de personnes venues spécialement y déposer les cendres d’un proche. On imagine sans peine le climat qui doit régner sur le rocher les jours de funérailles !

D’autres phares orégonais ont connu des reconversions moins austères. Celui de Heceta Head, par exemple, dont la maison du garde a, elle, été transformée en un bed and breakfast de charme ! L’endroit constitue aussi un point d’observation sans pareil pour qui s’adonne à l’observation des oiseaux de mer nichant sur les nombreux rochers disséminés à quelques encablures de la côte. Visible de ce phare également, en direction du Nord, cette large ouverture balafrant le flanc de la falaise : l’entrée d’une grotte. Celle-ci est réputée pour être une des plus vastes cavités marines du monde. Depuis des siècles, lions et loups de mer en ont fait une halte incontournable lors de leur transhumance vers l’Alaska et le détroit de Béring. Etrange ambiance que dégage cette cathédrale marine dont les parois amplifient et répercutent en boucle les hurlements des mammifères marins et celui d’une mer déchaînée s’engouffrant sans retenue dans la moindre anfractuosité.

 Cette côte, si souvent déchiquetée, offre toutefois par moment des reliefs moins âpres. C’est le cas notamment aux environs de la ville de Florence. Là, on rentre dans un univers de sable et de dunes impressionnantes. L’histoire de leur création a commencé il y a plus de 50 millions d’années. Dès la formation de la chaîne côtière, des glaciers et des rivières ; le vent et les pluies ont commencé à râper les jeunes sommets pour les transformer en granulat que les éléments se sont aussitôt chargés de transporter jusqu’à la côte. Là, il ne restait plus qu’à laisser œuvrer le vent afin qu’il sculpte ces colossales masses de sable et les convertissent en dunes. A présent, le parc dunaire d’Oregon est le plus vaste des Etats Unis et forme sur près de 80 kilomètres une muraille de sable de plus de 50 mètres de haut. A certains endroits, certaines dunes peuvent culminer à plus 150 mètres.

On ne sera pas surpris d’apprendre qu’un tel spectacle ait transporté d’enthousiasme l’écrivain Franck Herbert. Dans les années soixante, alors qu’il travaille pour un quotidien du Washington, sa rédaction l’envoie à Florence précisément pour réaliser un reportage consacré à l’avancée des dunes et aux moyens mis en place pour tenter d’arrêter leur progression. De retour à Washington, l’article, pour d’obscures raisons, ne paraîtra jamais, mais, inspiré par ce qu’il a vécu sur cette côte, Franck Herbert se lance dans l’écriture de ce qui deviendra un chef-d’œuvre absolu de la littérature d’anticipation. Le titre du roman ?….. « Dune», évidemment !

Entre-temps et jusqu’à ce jour la problématique de l’ inexorable avancée des dunes dans cette région d’Oregon est restée plus que jamais au cœur d’ardentes controverses. En effet, si dès le début du XXe siècle on a pensé que la solution serait de planter différentes variétés de graminées d’origine européenne pour stabiliser ces masses sablonneuses, on s’est aussi progressivement rendu compte que ces plantes, en proliférant de manière quasi incontrôlée, modifiaient de manière irréversible un paysage et un biotope uniques. Elles menaçaient de surcroît d’extinction certaines espèces tels que le pluvier neigeux -un minuscule échassier de la taille d’un moineau – qui ne peut survivre que dans les espaces ouverts et sablonneux. A présent, les responsables locaux de l’environnement s’essaient à différentes méthodes pour tenter d’éradiquer ces herbes devenues « folles ». Cela va de l’arrachage manuel à des technique plus radicales telles que l’usage du bulldozer ou….l’application massive d’herbicides !

Généralement vilipendés par les défenseurs de la nature, les adeptes du quad et autres engins motorisés très prisés ici pour dévaler les dunes ont même retrouvé une bonne conscience. Certains d’entre eux ne proclament-ils pas haut et fort que la pratique de leur sport favori est devenu un acte à portée écologique puisque là où ils passent, l’herbe trépasse !




(prochain épisode le 21 février 2010)

29 janvier, 2010

Oregon: 150 ans en 2009 (6/8)

Oregon: 150 ans en 2009 (6/8) (Un reportage réalisé en juillet 2008 (texte et photos: Bernard Jacqmin)

Portland

Demain, Ed et Jen rentreront déjà dans leur pavillon de banlieue. Les vacances sont finies pour eux. Au moment de nous quitter, ils insistent cependant pour nous fixer un rendez-vous dans le centre de Portland : ils seraient heureux de nous revoir et de nous faire visiter leur ville à bord de leur vieux van V.W. Nous acceptons avec plaisir et nous retrouvons donc le lendemain après-midi à l’endroit fixé la veille, sous une de ces chinoiseries un peu kitsch en forme de portique sensée marquer l’entrée du quartier chinois. Un endroit qui, dit-on , était fort mal famé à la fin du XIXe et sous lequel un véritable réseau de tunnel avait été creusé puis investit par des tripots et autres bars clandestins où des capitaines sans foi ni loi abrutissaient les marins d’alcool. Ils leur faisaient ensuite signer des contrats « bidons » pour embarquer -à leur corps défendant— dans des croisières qui n’avaient rien de touristiques !

Avec Ed et Jen, la visite de la plus grande agglomération du pays (556.370 hab.-la capitale, Salem ne compte que 154.000 hab.) commencera par l’ International Rose Test Garden. Situé à l’Ouest de la ville, sur les contreforts d’une colline d’origine volcanique, cet endroit est le lieu de promenade familiale par excellence. Il est parcouru d’un dédale de chemins ombragés serpentant au travers d’une impressionnante roseraie où plus de 550 variétés de roses sont cultivées.
L’intérêt du site réside aussi dans le fait qu’il permet d’embrasser d’un seul coup d’œil l’ensemble de la ville. Une cité à priori «cossue » dégageant à la fois une belle impression de dynamisme mais aussi, paradoxalement, de quiétude toute provinciale. Un plan urbanistique a d’ailleurs incité les promoteurs locaux à ne pas s’égarer dans des délires architecturaux par trop prétentieux. Cette quasi absence de gratte-ciels, la présence d’espaces verts, de places aérées et de promenades aménagées le long de la Willamette River confèrent une belle harmonie à l’ensemble. Des détails accentuent encore cet effet comme, par exemple, la relative fluidité du trafic automobile, même dans le centre-ville. Une fluidité due notamment au fait que les transports en commun sont gratuits à partir de la périphérie.
Il est donc tentant d’abandonner son véhicule dans un parking de banlieue et de se laisser glisser « for free » vers l’ épicentre à bord d’un des nombreux street-car (tramways) multicolores. Et si d’aventure, vous cherchez une signification particulière aux couleurs de ces véhicules tantôt verts-pommes, tantôt jaunes ou bleus électriques, sachez que c’est juste pour créer un effet visuel intéressant au cœur de la ville, c’est du moins ce que l’on assure à la direction des transports en commun ! Sur le plan environnemental, la ville a aussi consentit à de larges dépenses en matière de réduction des gaz à effet de serre et autres émissions de CO2. Portland, grâce à la mise en place de dispositifs rigoureux permettant de renforcer le rendement énergétique et d’accentuer l’usage d’énergies renouvelables, les émissions de CO2 ont été réduites de plus de 3% par habitant entre 1990 et 1995, quant aux émissions de CO2 émises par les installations de la ville, elles ont baissé, durant la même période, de 15%.


Parmi les mesures visibles et relativement insolites de cette politique environnementale active, on remarquera aussi la présence, à intervalles réguliers, de bornes disséminées à travers la ville permettant aux véhicules électriques de recharger leurs batteries. De toutes évidences et à l’image du reste de l’Etat, Portland est une ville progressiste à maints égards. Ici, comme dans tout le pays, on vote démocrate et ce, de façon ininterrompue depuis 1988 (même si de vastes régions du Sud-Est restent toujours fidèles à l’esprit républicain). Si l’on remonte dans le temps, on apprendra aussi que l’esclavage n’y a jamais eu droit de cité. Une pratique d’ailleurs déclarée hors-la loi dès 1844, bien avant l’entrée de l’Oregon au sein des Etats-Unis en 1859. Portland est aussi la ville des Etats-Unis où les débats au sujet du mariage homosexuel restent parmi les plus vifs et bien des observateurs s’accordent à penser que d’ici peu, l’Oregon sera, après le Massachusetts et la Californie, le prochain état à légaliser le mariage homosexuel.
Dans un autre registre; avec l’Etat du Washington, l’Oregon est également le seul à accepter ce qu’on appelle ici « le suicide assisté » (Death with Dignity Act) notamment pour les personnes malades en phase terminale.

On trouvera dés lors plutôt paradoxal que dans un tel contexte, la peine de mort soit, elle, toujours en vigueur et….appliquée ! Bien qu’elle le soit de façon exceptionnelle : depuis le rétablissement de la peine capitale en 1976, seules deux exécutions ont eu lieu à ce jour.

Parmi les « curiosités », que Ed a tenu à nous faire connaître dans « sa » ville, il y aura aussi un lieu qui à priori n’a rien de bien glamour mais qui ne manque pourtant pas de piquant. C’est un quartier un peu à l’écart du centre, sur la rive droite de la Willamette River. Il s’agit du quartier des entrepôts, celui des usines et des machines, des barges, des silos et des ponts roulants. Un univers qu’il aime et qu’il connaît sur le bout des doigts. D’ailleurs, voici qu’ il nous invite à escalader la clôture d’une usine qui lui est plus familière que les autres. Il dit d’ailleurs connaître le gardien, donc…aucun souci à se faire On traverse néanmoins les rails avec prudence (On ne sait jamais, une locomotive peut toujours surgir à l’improviste) et puis en silence, on déambule dans la caillasse et le ballast, dans un dédale de ferraille et de bidons d’essence. ça ressemble un peu à un pèlerinage pour Ed. D’ailleurs, le voici qu’il s’arrête soudain et regarde en l’air comme pour contempler une de ces grues qu’il n’a peut être plus commandé depuis longtemps.
-Tiens, dit-il brusquement comme pour couper court à une vaine mélancolie, tout près d’ici on a tourné un film l’année passée, là , juste sous ce pont. C’est celui de Burnside. Là-bas, des gars ont commencé à squatter l’endroit il y a quelques années et petit à petit, ils ont construit avec « des bouts de ficelle » un skatepark du tonnerre. Je crois que c’est d’ailleurs un des plus anciens skateparks des Etats Unis. Maintenant, il paraît que pour les skaters du monde entier, ce trou pourri est devenu une vraie Mecque, surtout depuis ce fameux film! (il s’agit de « Paranoïd Park » de Gus Van Sant, film sombre et dramatique réalisé en 2007 et Prix du 60e anniversaire du Festival de Cannes) On s’approche et, de fait, sous l’autoroute, quelques mètres à peine sous le tumulte du trafic et des gaz d’échappement… des gars s’activent consciencieusement à dévaler des rampes, à négocier des courbes, à « grinder » des arêtes…Aujourd’hui, ils sont une vingtaine entre 15 et 30 ans. Des chevelus aux pantalons tombant sur les fesses mais aussi des gars en salopette qui sortent tout juste de leur atelier et même quelques jeunes cols-blancs venus se dégourdir les jambes après le bureau, la cravate dépassant de la poche. Histoire de mettre un peu d’ambiance, quelqu’un a enclenché son lecteur CD. Un vieux reggae s’est mis à résonner sous les pilastres du pont . Immobile, un type un peu taiseux se tient à l’écart mais ne perd rien de la scène. Il observe les faits et gestes de ces fous montés sur roulettes. Mais dès qu’une canette de soda ou de Bud’ s’égare, il se lève aussitôt pour la récupérer. La boîte ira rejoindre la récolte du jour. Bientôt, le sac sera plein et échangé dans une société de recyclage des environs contre quelques « bucks ».
Le soleil commence maintenant à décliner sur la Willamette River. Il fait un peu moins étouffant et les joggeurs se risquent par petits groupes, tout comme les bikers et les familles en balade déglutissant des ice-cream modèle XXL. Au milieu de cette tranquille animation, un vétéran du Vietnam sur sa voiturette électrique surmontée de la bannière étoilée accoste les passants et tente sans grands succès de vendre ses poèmes.

C’est ici que nous allons quitter Ed et Jen. Nous sommes revenus sur l’avenue longeant le Rose Garden Arena. Sur le parking du plus grand complexe sportif de la ville, l’antre des fameux Blazers, -et aussi de la plus grande salle de spectacles- (20.000 places) des roadies achèvent de ranger le matériel sono des Foo Fighters. Les célèbres rockers du Washington ont donné un concert hier soir. Peut-être ont ils chanté « I’ll be coming home next year….Say goodbye, say goodbye……. ».


(prochain épisode le 6 février)

23 janvier, 2010

Oregon: 150 ans en 2009 (5/8)

Oregon: 150 ans en 2009. (5/8)

(Un reportage réalisé en juillet 2008 (texte et photos: Bernard Jacqmin)

Le Mont Hood


Et puis, inexorablement, viendra le moment où la curiosité sera la plus forte : Au détour d’un chemin, d’une route campagnarde peut-être un peu plus agreste que les autres -à hauteur de Rufus, par exemple- le voyageur sera incité à dépasser la vallée, à pointer le nez au delà de la canopée. Dans un premier temps, les grandes cultures réapparaissent. Encore du blé, encore de l’avoine, encore du maïs et puis, dans le lointain…une masse incontournable, un sommet érodé mais couvert de neiges éternelles : Le Mont Hood ! On se dit finalement que ce n’est pas très loin et l’on se met aussitôt en route, comme aimanté par la force surnaturelle qui émane de cette montagne.

Avec ses 3426 mètres d’altitude, le Mont Hood est le point culminant de l’Oregon. C’ est aussi un volcan toujours considéré comme potentiellement actif (bien que ses dernières velléités remonteraient à 1805, peu avant l’arrivée de l’expédition de Clark et Lewis précisément).

Quand à son ascension, si elle est inscrite au programme de tous les alpinistes dignes de ce nom, elle ne figure pas parmi les plus difficiles : après le Fuji Yama, c’est le Mont Hood qui comptabilise chaque année le plus d’ascensions réussies ! Ce qui en fait, notamment, un de ses aspects les plus attractifs, au même titre que ses pistes de ski ouvertes toute l’année. Unique aux States !



En ce week-end caniculaire, des dizaines de jeunes venus de la banlieue de Portland sont pour l’instant en train de dévaler ses pentes sur des snowboards aux motifs bigarrés. En T-shirt et reliés à leur I-Pod comme à un cordon ombilical, ils surfent l’or blanc, en écoutant les derniers tubes des rappers en vogue sous le regards malicieux d’ écureuils en goguette et bien peu farouches.

Une atmosphère aux antipodes de celle qui, il y a quelques années, avait rendu mondialement célèbre l’endroit avec le film-culte de Stanley Kubrick « Shining » dans lequel Jack Nicholson incarnait un dangereux psychopathe luttant contre ses démons et accessoirement, ceux peuplant les couloirs du Timberline Lodge (principal hôtel situé au pied du Mont Hood) !

Parfois, l’on se demande pourquoi le symbole du pays n’est pas cette montagne au lieu de ce cet omniprésent, certes, mais banal pin que l’on voit gravé sur les plaques minéralogiques de l’Etat ! Le Mont Hood, c’est comme une signature, une carte de visite ou mieux, un repère incontournable. Par temps clair, on peut le voir dans presque tout le Nord du pays.
Malgré les touristes, les skieurs et les nombreux randonneurs, l’endroit est apaisant et reste étonnement propice à l’éblouissement, à la méditation et pourquoi pas aux rencontres singulières. Comme celle de ce couple originaire de la banlieue de Portland. Ils s’appellent Ed et Jen. Ils ont choisi un camping des environs pour passer quelques jours de vacances, histoire de changer d’air et surtout faire plaisir à Patrick et Carol, leurs deux jeunes enfants. Des vacances toutes relatives et teintées d’une certaine anxiété nous confiera plus tard notre nouveau compagnon. En effet, chaque matin, Ed se lève aux aurores et quitte le campement en silence pour gagner la zone portuaire de Portland. Il est grutier et son boulot habituel consiste à décharger les trains. Cependant, pour l’instant il est en chômage. « Mais il faut rester vigilant dit-il, alors tous les jours, je descends en ville et fais le tour des entreprises et je regarde si elles n’ont pas besoin d’un gars comme moi, ne fût-ce que pour un petit contrat»


Ces moments-ci, Jen avoue pourtant ne pas avoir trop de chance avec le travail. Mais quand il revient au camping en fin d’après-midi, il fait bonne figure devant Jen et les gosses. On fait comme si de rien n’était, on s’active autour du barbecue et puis surtout, quand la nuit est tombée, on prépare les S’Mores ! Tous les enfants en raffolent et ce n’est pas très compliqué à réaliser : Il suffit de se mettre autour du feu puis de se choisir un bâtonnet sur lequel on va piquer un marshmallow (sorte de guimauve) et un morceau de chocolat qu’on fera fondre sur la flamme. Lorsque le tout est devenu presque liquide, on le tartine sur une sorte de biscuit aux céréales (les Grahams sont les meilleurs !) Il ne reste plus qu’à savourer et de préférence accompagné d’un coke bien glacé. C’est en quelque sorte la version américaine de la raclette suisse ! Un peu écœurant, mais c’est un « must » ici !


(Prochain épisode le 30 janvier)

10 janvier, 2010

Oregon : 150 ans en 2009. (4/8)

Oregon: 150 ans en 2009. (4/8)Un reportage réalisé en juillet 2008 (texte et photos: Bernard Jacqmin)

La Columbia River

Historiquement, naturellement pourrait-on dire, la voie d’accès principale vers l’Oregon en venant de l’Est est un fleuve. Une autoroute liquide ! Majestueuse et puissante : La Columbia River. De mémoire de natifs, l’on a d’ailleurs jamais connu que cette « route » pour traverser le pays d’Est en Ouest, des Rocheuses au Grand Océan. De mémoire d’explorateurs puis de colons, cette percée de près de 2000 kilomètres à travers le pays n’est rien de moins que la voie royale -du moins son dernier tronçon- pour la conquête de l’Ouest.

L’épopée de Clark et Lewis est à ce sujet exemplaire. Mandatés par le Président Jefferson, les officiers Meriwether Lewis et William Clark vont être chargés en 1804 d’explorer les territoires situés à l’Ouest du Mississippi.( ….) Territoires qui jusqu’alors étaient réputés « terrae incognitae ». Hormis de rares aventuriers, des marins et quelques poignées de trappeurs aguerris venus notamment du Canada, personne en effet n’avait encore pratiqué cette contrée. L’ aventure de Clark et Lewis commencera à Wood River (Illinois) en mai de l’année 1804 pour arriver en vue du Pacifique 18 mois plus tard. L’équipée composée d’une trentaine d’homme ne rentrera que 2 ans, 4 mois et 10 jours plus tard après avoir parcouru plus de 8.000 miles, à pied, à cheval, en bateau, empruntant notamment le cours de la Columbia River jusqu’au Pacifique et fonder dans la foulée Fort Clatsop, emplacement de l’actuelle ville d’Astoria. Détail incroyable, compte tenu des dangers et des difficultés croisées: une seule personne périra au cours de cet épique saga.

Cette expédition marquera le début du plus grand flux migratoire qu’ait jamais connu l’Amérique. Les précieuses informations recueillies par les deux explorateurs vont enflammer l’imaginaire de la jeune nation et nourrir d’espoir de centaines de milliers de personnes en quête d’un avenir meilleur et surtout de terres à « bon prix ». Dès 1840 et pendant près de 40 ans ce ne sont pas moins de 400.000 aventuriers, qui parcourront ce qui, désormais, sera baptisé l’Oregon Trail. Une aventure nécessitant, dans le meilleur des cas, 6 mois à partir des rives du Mississippi avec de rustiques chariots bâchés tractés par des bœufs traversant le Kansas, le Nebraska, le Wyoming, l’Idaho et enfin l’Oregon à partir duquel certains se dissémineront vers la Californie ou le Washington.

Témoin privilégié de cet exode sans précédent, l’écrivain Mark Twain dans son ouvrage intitulé « A la dure » décrit en 1861 ces caravanes alors qu’elles ne sont pas encore à mi-chemin : « Le vêtement pauvre et la mine triste, cheminant péniblement et poussant leur troupeau de vaches, il y avaient des dizaines d’hommes, de femmes et d’enfants qui avaient marché comme cela, jour après jour, pendant huit interminables semaines pour parcourir mille deux cent quatre vingt quatre kilomètres ! Ils étaient poussiéreux et hirsutes, tête nue et déguenillés, ils avaient l’air si fatigués !… »

Si la morphologie de la vallée de la Columbia River a certes subi d’immenses mutations depuis cette époque « héroïque » –Aujourd’hui, avec 14 barrages sur son cours et 150 sur l’ensemble de son bassin, la Columbia River est le fleuve comptant le plus de centrales hydroélectriques en Amérique du Nord- la vallée de la Columbia River demeure plus que jamais un territoire où le terme « sauvage » garde un sens. Et ce ne sont pas les saumons qui le contrediront puisqu’ils sont encore 16 millions à remonter son cours chaque année !

Aussi, dès que l’on quitte la Higway 84 et que l’on traverse la voie ferrée longeant le fleuve, le visiteur se retrouve-t-il aussitôt enveloppé, happé pourrait-on dire, par une nature exubérante, dense et variée, au relief imprévisible. Une multitude de sentiers balisés permet de s’y fondre et dans une certaine mesure, de revivre les émois des premiers aventuriers qui défrichèrent la voie.

Les points de vue spectaculaires succèdent alors aux tunnels de frondaisons bruissantes, les chemins en corniche aux vastes clairières tapissées de fougères.
Ici et là, du fond des canyons, remontent le tumulte de torrents glacé dont le cours, bientôt, sera brisé par autant de chutes vertigineuses.


(Prochain épisode le 17/1/10)